Suicide et Corée du Sud

Bonjour mes bichons,

Aujourd’hui nous sommes partis pour une anecdote du quotidien, mais cette fois ci bien moins drôle que les précédentes.

Vivre en Corée du Sud c’est aussi ça, être confrontée au suicide, du moins à sa notion, fréquemment. 

La soirée avait joliment commencé, nous étions allés voir un film au cinéma et rentrions à pieds en profitant des premiers froids et de l’odeur d’hiver. 
Pour rentrer chez nous, nous devons traverser un long pont qui joint Yeouido à notre quartier, le fameux pont Mapo.
Fameux car bien connus des coréens, sur tout son long se trouvent de hautes barrières et surtout, des inscriptions, des photos et des statues un peu étranges à première vue et qui représentent les relations sociales. 
Par hasard, j’étais tombée sur l’explication de ces messages quelques jours auparavant, il s’agit de poèmes et d’attentions destinées à décourager les gens souhaitant se suicider en sautant dans la rivière Han, souvent de ce pont en particulier.
Je le savais, je connaissais l’histoire mais, pour être franche, si ma tête avait compris, les mots n’avaient pas encore atteints mon coeur.
Néanmoins, ce soir là, alors que nous traversions le pont en décortiquant Les Animaux Fantastiques 2, nous avons été rejoint par deux jeunes hommes. 
Joyeux, ils portaient de grosses doudounes et un énorme sac en carton.
Comme le font souvent les coréens, ils ont engagé la discussion, gaiement en nous demandant d’où nous venions, puis, nous ont expliqué que dans la journée avait eu lieu un examen scolaire important. Le Suneung, 600 000 lycéen avaient planché pour tenter de réussir les concours d’entrée dans les universités coréennes. 

Je ne comprenais pas encore où ils voulaient en venir… L’explication arrivait, désarmante, autant que le ton sur lequel elle était assénée…

Ils étaient là pour faire des allés retours sur le pont, dans l’espoir d’intercepter un étudiant malheureux qui aurait planté son examen et qui, fatigué de toute la pression accumulée, souhaiterait en terminer.

Alors qu’ils terminaient leur histoire ils ont sorti deux tablettes de chocolat de leur grand sac pour nous les offrir, et ont repris leur ronde.
J’ai toujours ces deux tablettes de chocolat, je n’arrive pas vraiment à les manger. 
C’est ce chocolat qui a fait descendre les mots de ma tête jusqu’à mon coeur, et à présent je pense beaucoup à l’importance que ces simples friandises peuvent avoir pour une personne se sentant si seule et si fatiguée qu’elle se serait trouvée sur ce pont ce soir là. 
Il était presqu’une heure du matin, et ces jeunes hommes étaient sans doute partis pour passer la nuit sur le pont, bénévolement, par gentillesse, pour sauver des gens qu’ils ne connaissaient pas.
Je me suis alors demandée si leur démarche avait porté ses fruits ce soir là, et si quelqu’un, ailleurs, n’avait pas eu la chance de recevoir une tablette de chocolat qui lui aurait réchauffé le coeur
La triste réponse m’a été apportée par les statistiques.  Oui, probablement, oui.

Le suicide est un problème récurrent en Corée du Sud mais prend des proportions terrifiantes quand il s’agit d’enfants, d’adolescents et de jeunes adultes.
En 2016, d’après l’OCDE, la Corée du Sud était le deuxième pays au taux de suicide le plus élevé au monde, avec une moyenne de 26 suicides sur 100 000 personnes en une année (à titre de comparaison en France nous étions à 13 suicides pour 100 000 personnes cette année là).
C’est donc 36 personnes par jour qui perdent leur vie de cette façon ici.  Parmi elle, les suicides d’étudiants augmentent chaque année touchant à présent même les enfants de primaire, de nos jours, c’est la première cause de mort des adolescents et jeunes adultes. plus précisément, le taux de suicide des jeunes entre 9 et 24 ans était de 7.8 pour 100 000 personnes en 2016,
Je vous laisse un article très intéressant sur la jeunesse Séoulite et le cri de détresse poussé par les moins de trente ans depuis presque dix ans déjà… ICI
Si le système educatif coréen semble porter ses fruits, compte tenu de l’efficacité et de la croissance du pays, mais il n’est plus viable humainement, il a drainé trop d’enfants, et des amies coréennes me disent que si elles ont des enfants un jour, elles refusent de les éduquer en Corée.

Premier symptôme? le suicide, symptôme économique? une productivité faible qui urge le pays à revoir son modele économique, et le conseil ne vient pas de moi mais de l’OCDE  Qu’est ce que tout cela signifie? Ça signifie que les coréens sont très éduqués mais épuisés et enfermés pour une bonne partie dans un système hiérarchisé à l’extreme, n’encourageant pas l’initiative et le fait de sortir du lot. Beaucoup d’heures travaillées pour un résultat faible en comparaison au temps de présence. Peu de travail disponible pour beaucoup de candidats très qualifiés. 
Ça vous donne envie? Et bien pour les jeunes coréens, encore plus ceux qui voyagent (l’herbe est toujours plus verte ailleurs) non plus, ce modele là ne rend plus heureux.

Si vous lisez mon blog, il y a de fortes chance pour que la Corée vous intéresse, pour que vous en soyez passionnés… vous dévorez peut être des dramas ou de la Kpop en rêvant d’une vie coréenne comme à la télé…  Je ne vous blâme pas, moi aussi ce sont des choses qui m’ont fait fantasmer!

Malheureusement cette fois plus que jamais, la vie ici n’est pas la fiction que vous voyez, et je connais plus d’une personne qui n’a pas pu supporter son expatriation ici et a vu ses rêves voler en éclats.. la première étape se faisant souvent à itaewon en craquant pour un beau coréen qui lui, n’était là que pour « chevaucher le cheval blanc » mais cette charmante expression fera l’objet d’un autre article. 

Je ne suis pas là pour vous décourager, je veux juste que ceux et celles qui souhaitent tenter l’aventure arrivent ici armés, et que les plus naïfs et naïves d’entre nous se réveillent pour enfin réaliser que le pays parfait n’existe pas, que nous êtes en premier lieu un étranger pour les coréens, qu’ils ne vous attendaient pas pour faire de vous un prince ou une princesse et qu’il vous faudra vous battre pour votre place dans cette société.

Apres tout, s’il y une pression énorme et un sentiment de solitude assez ambiant… ces deux garçons étaient quand même là, à 1 heure du matin, dans le froid, avec du chocolat et leur gentillesse en bandoulière  On ne peut pas nier que c’est la même société qui a réussi à pondre des deux mignons.


La vie ici n’est pas facile pour les coréens alors ne vous attendez pas à des traitement de faveurs des lors que vous souhaitez dépasser votre statut de touriste.

Si vous êtes prêt à ça, et suffisamment forts psychologiquement, alors un monde merveilleux vous attend peut être ici! Sinon, protégez vous.
J’espère que je ne vous ai pas perdu avec cet article un peu plus sérieux et un poil économique…

En attendant de vous écrire de nouveau, je garde à présent toujours quelques friandises dans mon sac, on ne sait jamais, peut être qu’elle pourront un jour réchauffer le coeur de quelqu’un et lui montrer qu’il ou elle n’a pas à vivre tout ça, seul. 

Je vous embrasse les Germaines! prenez soin de vous!

Y.P
Seoul, J+118

2 réflexions au sujet de « Suicide et Corée du Sud »

  1. Merci beaucoup d’avoir pris le temps de m’ecrire! Ça me touche et me fait du bien de savoir que je ne suis pas la seule que la situation fasse réagir…. heureusement des gens se battent ici pour faire changer les choses! J’espère vraiment que l’evolution sera aussi rapide que possible!

    J’aime

Laisser un commentaire